C'est ce qu'un de mes amis a entendu de la part de son propre groupe d'amis masculins lors d'un week-end. Il a d'abord cru qu'ils plaisantaient, puis s'est rendu compte qu'ils étaient tout à fait sérieux. Leur point de vue était que les femmes représentent un risque financier pour leurs employeurs parce qu'elles partiront inévitablement pour avoir des enfants à un moment donné, et que d'un point de vue purement économique, c'est une question de bon sens que d'investir moins dans un « produit risqué ». Autrement dit, l'égalité salariale est un non-sens pour eux.
Mon ami était totalement consterné, et moi aussi.
Comment peut-on encore penser ainsi en 2024 ? Où vont-ils chercher ces idées ?
Après tout, il s'agissait d'hommes jeunes - la trentaine -, instruits, qui ont autant accès à l'information que vous et moi, et qui sont des membres actifs de la société - autrement dit, ils n'ont pas vécu dans une grotte ces 20 dernières années... Pourtant, leur raisonnement insensé est basé sur des hypothèses totalement absurdes.
En voici six :
1) Payer les femmes moins que les hommes pour un travail égal est acceptable
Non seulement ce n'est pas acceptable, mais c'est illégal. Du moins dans l'Union européenne (voir note de bas de page a).
Malgré cela, le fait que des hommes jeunes et instruits puissent dire en toute décontraction que la discrimination salariale est normale montre l'ampleur du travail qu'il reste à accomplir pour faire appliquer la loi et changer les mentalités.
2) Les femmes portent seules la responsabilité d'avoir des enfants et de s'en occuper
Visiblement le concept d'immaculée conception est encore d'actualité... ??
Il faut reconnaître que l'écart considérable entre la durée du congé maternité et celle du congé paternité (b) ne contribue pas à réfuter la croyance selon laquelle les hommes ne sont pas concernés par la parentalité.
Comme il n'est pas encore aussi courant de voir les pères prendre un congé prolongé lorsqu'ils ont des enfants, il est facile de supposer que la responsabilité de l'éducation des enfants est une question purement féminine.
3) Il est logique d'appliquer une pénalité permanente et irréversible sur la d'un risque (perçu) limité dans le temps.
Ce que ces jeunes hommes disent en fait, c'est qu'il est logique de payer quelqu'un 13 % de moins (c) sur une période de 36 ans (d), au risque qu'elle soit absente pendant environ 5 mois (e) - soit environ 1 % de cette période.
Même si nous nous absentons deux fois plus longtemps, qu'en est-il des 35 années restantes, au cours desquelles, théoriquement, nous travaillons à un niveau similaire à celui de nos homologues masculins ? Par ailleurs, comment se fait-il que la rémunération de la plupart des femmes ne se rétablisse jamais, même bien après les années de maternité ?
4) Toutes les femmes prévoient d'avoir des enfants...
... (parce que c'est notre seul but dans la vie, n'est-ce pas ?) et de prendre un congé maternité, il est donc logique d'appliquer une pénalité forfaitaire à la moitié de la population, quelle que soit sa situation individuelle.
Il est intéressant de noter qu'environ 15 % des femmes n'ont jamais d'enfants (f), que ce soit par choix ou non. Donc, même si l'argument initial tenait la route, qu'en est-il de ces femmes ? Je me demande quelle excuse ces jeunes hommes trouveraient pour justifier qu'elles soient moins bien payées.
5) Les salariés sont des robots, pas des êtres humains
C'est bien connu, les salariés n'ont pas de vie personnelle ou de circonstances de vie qui pourraient nécessiter une certaine flexibilité de la part de leur employeur. Nous ne sommes jamais malades, pas plus que nos proches. Notre niveau de performance est parfaitement constant et prévisible à tout moment, tout au long de notre carrière... Pas vrai ? Il est évident que ce n'est pas le cas.
Selon l'argument de ces jeunes hommes, devrions-nous appliquer une pénalité aux employés de plus de 50 ans parce qu'ils courent un risque plus élevé de souffrir de problèmes de santé graves (g) ? Ou aux hommes parce qu'ils sont deux fois plus susceptibles que les femmes d'être victimes d'accidents mortels (h) ?
En réalité, tout le monde peut être affecté par un événement, prévu ou non, qui pourrait l'obliger à prendre un congé prolongé ou à prendre du recul par rapport à son travail.
L'argument du « risque » pour justifier une moindre rémunération des femmes est ridicule.
6) Les talents sont une ressource infinie et facilement disponible... vous pouvez donc traiter et rémunérer vos employés comme bon vous semble
La concurrence pour les talents est si féroce qu'elle est souvent qualifiée de « guerre ».
Les entreprises ont de plus en plus besoin de compétences spécialisées et le contexte économique actuel crée une incertitude croissante pour les salariés (i), qui sont moins enclins à changer d'emploi. Le vivier de talents dans lequel elles peuvent recruter est donc limité, et il faut être de plus en plus convaincant pour inciter les candidats à quitter leur emploi actuel.
Pour les candidats, la rémunération et les avantages sociaux, l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée et la flexibilité sont les trois principales priorités qu'ils prennent en compte lorsqu'ils évaluent un employeur potentiel (j).
Agir comme si les entreprises pouvaient se permettre de ne pas réfléchir à l'expérience et aux avantages qu'elles offrent aux candidats est absurde et témoigne d'une méconnaissance totale de la réalité du marché du travail (k).
C'est exactement pour cette raison que Gaïndéa existe, et que je me suis donné pour mission d'aider les jeunes mères à reprendre le travail en douceur après la naissance de leur enfant.
Parce que nous ne parviendrons JAMAIS à l'égalité des sexes sur le lieu de travail tant que les mères ne seront pas considérées et traitées équitablement.
Nous ne changerons JAMAIS la perception de la parentalité si les femmes continuent à quitter le marché du travail parce qu'elles ont trop de responsabilités, ou parce qu'elles sont perçues comme désengagées ou moins productives.
Et nous n'éliminerons JAMAIS les préjugés auxquels les femmes sont confrontées au travail tant que nous n'aurons pas éliminé les préjugés auxquels les mères sont confrontées.
C'est pourquoi, même si l'objectif premier de Gaïndéa est d'accompagner en priorité les femmes, une part importante de ma mission consiste à conseiller les organisations et les dirigeants pour transformer leur culture d'entreprise, afin que le type de raisonnement rétrograde dont ces jeunes hommes ont fait preuve reste marginal.
Sources: (a) European Commission - EU Action for Equal Pay; (b) European Commission - Maternity and Paternity leave in the EU; (c) European Commission - The Gender Pay Gap Situation in the EU; (d) European Commission - Duration of Working Life; (e) 14 weeks legal maternity leave per child, as required by the EU, based on an average 1.5 children per woman (Fertility Statistics); (f) Cairn International Has childlessness peaked in Europe?); (g) European Commission - Ageing Europe - Statistics on Health and Disability; (h) European Commission - Accidents and Injuries Statistics; (i) LinkedIn - Global Talent Trends 2022; (j) LinkedIn - Global Talent Trends 2022; (k) McKinsey - Gone for now or gone for good? How to play the new talent game and win back workers?
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